Les risques encourus par les usagers de substances psycho-actives touchent la cavité buccale dans son ensemble

On trouvera ci-dessous les principales manifestations liées à ces consommations. Un classement par produit sera proposé par ailleurs sous forme de tableau.

LA SALIVE

De nombreuses substances sont à l’origine d’une xérostomie (sécheresse buccale) : les opiacés (y compris les médicaments opiacés de substitution), les amphétamines, les barbituriques, les hallucinogènes, la marijuana et l’alcool. Le tabagisme (nicotine) a aussi un effet défavorable sur la quantité de salive présente dans la bouche. L’existence d’une l’hépatite C peut également favoriser cette hyposialie surtout en cas de cryoglobulinémie ou de lésions hépatiques sévères.

En cas d’usage prolongé, ce phénomène peut altérer toutes les parties de la bouche (langue, gencives, glandes salivaires...) et entraîne une prolifération bactérienne aboutissant à la formation de plaque dentaire et de tartre. En l’absence de soins, le collet des dents va être atteint et les caries se développer jusqu’à la destruction des dents.

Le patient signale des difficultés à parler, à mastiquer et à déglutir sans boire des gorgées de liquide. Il boit souvent pour humecter ses muqueuses et se plaint parfois de glossodynie (douleur de la langue) ou de stomatodynie (douleur affectant l’ensemble de la bouche). Les muqueuses buccales sont rouges et vernissées, recouvertes d’un enduit blanchâtre, spumeux et collant. La faible quantité de salive observée est épaisse, collante et blanchâtre. Secondairement, il y a surinfection mycosique (Candida albicans) avec perlèche, muguet, glossite dépapillante et kératose.

ALTERATION DU GOUT

Chez les fumeurs, il existe une élévation du seuil gustatif salé, ce qui peut favoriser l’abus de sel et par conséquent les lésions cardio-vasculaires et rénales.

De nombreux médicaments sont capables d’agir sur le goût comme les psycholeptiques, les antiépileptiques et autres agents psychopharmacologiques, des opiacés comme la codéine ou la morphine.

Des solutions diluées de cocaïne appliquées localement sur les muqueuses buccales diminuent la sensibilité gustative dans l’ordre amer-sucré-salé-acide.

ALTERATION DE L’HALEINE (Halitose , Cacostomie)

L’halitose ou cacostomie (mauvaise haleine de cause générale ou locale) est fréquente chez les usagers de substances psycho-actives : elle résulte le plus souvent de caries dentaires, de parodontopathies, et plus généralement de foyers infectieux et de perturbations de l’écologie buccale. Cette mauvaise haleine est aggravée par l’alcool, le tabac, les troubles digestifs et la sécheresse buccale liée à la consommation de produits psycho-actifs.

HYGIENE BUCCALE ET ATTEINTES DES TISSUS DURS

Les atteintes des faces vestibulaires et des collets des dents sont spécifiques du patient toxicomane, selon une description faite par A.H. LOWENTHAL à partir d’une population vivant en milieu carcéral.

Il faut noter que l’utilisation de certaines substances comme l’héroïne ou la cocaïne peut masquer, chez le patient toxicomane, la douleur d’une lésion bucco-dentaire non traitée et contribuer ainsi à l’absence de consultation du chirurgien-dentiste, entraînant une aggravation des lésions.

Les dents peuvent aussi être atteintes dans leur intégrité par l’usure liée au bruxisme (lui-même souvent associé au stress) ainsi que par des fractures, résultant de l’usure et de la progression des caries. Fumer du tabac ou le chiquer provoque des colorations dentaires qui vont du jaune au noir. Les produits du tabac peuvent pénétrer les matrices organiques de l’émail, de la dentine et du cément ; les sillons et fissures des dents sont colorés en noir. L’usage de la pipe peut également être cause d’abrasions dentaires.

TROUBLES PHYSIOLOGIQUES

La cocaïne, mais aussi l’héroïne, peuvent amener des troubles occlusaux comprenant des Dysfonctionnements Temporo-Mandibulaires (DTM), des douleurs cervico-faciales (Freilander et Gorelick, 1988) ou encore un bruxisme.

La cocaïne peut engendrer des troubles de l’innervation à type de paresthésie, d’hypo-esthésie et de troubles moteurs (Roche, 1996).

ALTERATION DE L’ ETAT PARODONTAL

L’accumulation de plaque microbienne, la baisse de l’immunité générale, les carences nutritionnelles, les caries du collet, les traumatismes engendrés par le bruxisme, sont autant de facteurs étiologiques expliquant un état parodontal plus dégradé chez les usagers de drogues, indépendamment des autres risques associées à la toxicomanie. L’usage de certains stimulants (comme le crack) peut entraîner une trituration intempestive et maniaque des gencives entraînant une lacération gingivale.

Les patients usagers de drogues présentent fréquemment des facteurs locaux et généraux prédisposant à la G.U.N.A. (gingivite ulcéro-nécrotique aiguë). L’incidence de cette pathologie est accrue chez les patients immunodéprimés en particulier ceux qui sont infectés par le VIH. Les études récentes ont clairement confirmé que le tabagisme jouait un rôle étiologique important dans cette maladie Le tabagisme est en corrélation significative avec le risque de perte de dents, de perte d’attache au sondage.

Les fumeurs ont en outre une consommation plus fréquente de boissons rafraîchissantes contenant du sucre. Pour la consommation de fruits, c’est le contraire.

Selon Grossi et coll., le fait de fumer multiplierait le risque d’atteinte parodontale par un facteur compris entre 2 et 4. Les alcools forts peuvent entraîner des atteintes tissulaires au niveau du parodonte susceptibles d’aboutir à la mobilité et à la perte d’une ou plusieurs dents.

La cocaïne peut provoquer des lésions parodontales liées au contact direct du produit avec la gencive. Ces lésions se caractérisent par une inflammation très marquée fréquemment associée à des saignements pouvant évoluer vers des ulcérations voire une nécrose. Si elles deviennent chroniques, une lésion de l’os alvéolaire sous jacent peut être associée (Rees, 1992)

Il faut également remarquer, une fréquence des problèmes parodontaux plus élevée chez les héroïnomanes que chez les autres patients usagers de drogues. Ce phénomène semble lié à l’immuno-dépression qu’engendrerait cette substance.

De plus des thrombocytopénies, probablement d'origine allergique, dues à la quinine parfois mélangée à l'héroïne, ont également pu être observées chez ces patients (Pallasch et Joseph, 1987; Poidatz-Lepoivre et coll., 1988).

ALTERATION DES MUQUEUSES BUCCALES

Les atteintes de la muqueuse buccale des patients usagers de drogues ne sont pas spécifiques mais elles sont nombreuses et diverses conduisant, notamment par l’association alcool-tabac et négligence de l’hygiène bucco-dentaire, à une pathologie cancéreuse spécifique. La candidose buccale est presque constamment associée à l’infection à VIH.

Parmi les autres manifestations buccales, on note des leucokératoses et des leucoplasies, des poussées bulleuses comme les aphtes et l’herpès.

On rapporte aussi des pigmentations de type érythémateuse pigmentée de la langue chez les héroïnomanes et chez les utilisateurs de métaqualone. On décrit aussi la mélanose du fumeur (pipe ou cigarette).

Autre lésion rencontrée chez les patients usagers de drogues, le lichen plan, affection multifactorielle dont le VHC est un facteur favorisant voire déclenchant. La découverte d’un lichen plan, surtout dans sa forme érosive, doit inciter le praticien à demander une sérologie anti-VHC, qui sera nécessaire pour la prescription de corticoïdes par voie systémique. La cocaïne peut susciter des lésions de la muqueuse nasale allant de la simple irritation jusqu’à l’ulcération voire la perforation (Mitchell-Lewis et coll., 1994)

PREJUDICE ESTHETIQUE ET RETENTISSEMENT GENERAL

Outre les douleurs et l’infection, les pathologies bucco-dentaires entraînent fréquemment des difficultés de mastication, d’élocution ainsi qu’une détérioration de l’apparence physique qui nuit à l’estime de soi et peut avoir des conséquences défavorables sur la vie sociale.

La souffrance dentaire et la détérioration de l’image de soi peuvent accentuer les troubles psychiatriques et anxio-dépressifs. La réhabilitation buccale (prothèses, bridges, soins divers...) présente, au-delà même de l’aspect strictement médical, un important enjeu de réinsertion sociale.

Prévention du risque infectieux et du risque de dénutrition associés

Pour tous les patients qui présentent un risque hémorragique, les extractions sous anesthésie générale permettent de prémédiquer le patient ou transfuser des plaquettes en milieu hospitalier.

Cela permet aussi :

  • de réduire la durée de l’intervention, et par conséquent le risque infectieux postopératoire,
  • de réduire le risque de piqûre ou de blessure du chirurgien-dentiste pendant l’intervention, car le patient endormi ne bouge pas. Il est impératif de limiter tout risque d’accident d’exposition au sang lorsqu’un patient est infecté par le virus de l’hépatite B, de l’hépatite C ou du sida, d’autant plus que les co-infections sont fréquentes chez les toxicomanes injecteurs.

De plus, la cicatrisation risque d’être ralentie chez les patients alcooliques ou usagers de drogues injecteurs, en raison d’un état d’immunodépression et de dénutrition, dans un contexte social défavorisé. La dénutrition sera encore aggravée par les extractions dentaires, pendant la période de cicatrisation des maxillaires, avant la pose de prothèses dentaires ou durant la période d’adaptation aux nouvelles prothèses. Pendant toute cette période, l’équipe soignante devra penser à donner des compléments nutritionnels hyperprotéinés et hyperénergétiques. Il est vivement conseillé d’adresser le patient à une consultation de diététique, non seulement pour la prise en charge du problème d’alcool, mais aussi parce que la nutrition est un soin à part entière. Il faudra particulièrement veiller à ce que le patient édenté ne soit pas lassé par une alimentation exclusivement molle et mixée.