La bouche reflète assez fidèlement l’hygiène de vie de nos patients. Qui ne s’est pas inquiété de la consommation excessive de tabac ou d’alcool de son patient ? Qui n’a jamais reçu de toxicomane à l’état dentaire précaire, voire délabré ? En réalité, une addiction, ou dépendance, ne s’installe jamais du jour au lendemain. Elle est toujours précédée, pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, d’une consommation excessive de produits, souvent répétée. A ce stade où la dépendance n’est pas encore installée, il est encore possible d’intervenir pour réduire les risques et les dommages. Cet enjeu concerne l’ensemble des professionnels de santé : généralistes, médecins du travail, pharmaciens, mais aussi nous.... chirurgiens-dentistes.
« L’expérimentation », c’est-à-dire la consommation « au moins une fois » du produit, est, sans surprise, très élevée concernant l’alcool ou le tabac. L’effectif des expérimentateurs de cannabis est intermédiaire entre l’alcool et le tabac d’une part, et les autres drogues, d’autre part. La consommation de ces dernières peut paraître modeste en termes d’effectifs (quelques centaines de milliers), mais individuellement, les situations peuvent être très critiques. L’usage occasionnel de cocaïne concerne environ 250 000 personnes, alors que 4 millions de personnes consomment occasionnellement du cannabis et 2,7 % (de l’ensemble de la population) en consomment régulièrement (essentiellement des jeunes, mais aussi des adultes qui n’ont pas réduit leur consommation). Ainsi, vous avez certainement des consommateurs occasionnels voire réguliers de cannabis dans votre patientèle.
Comment leur parler ?
Il convient d’analyser, point par point, l’impact des différentes addictions sur la santé et sur la prise en charge bucco-dentaire, y compris lorsque les patients sont poly-consommateurs – ce qui est fréquent.
La carie du patient toxicomane
La carie du patient toxicomane (aux opiacés) est une carie à progression rapide, comme la carie du pâtissier ou la carie du biberon. Les caries évoluent très vite sur plusieurs dents en même temps, et peuvent provoquer simultanément plusieurs pulpites. Les patients toxicomanes touchés souffrent alors de douleurs dentaires épouvantables.
Les symptômes fréquents.
Le dépôt noir sur les dents est souvent le seul symptôme buccal connu du cannabis.
Certains patients déclarent avoir la bouche sèche après avoir fumé. Ce phénomène a un effet pervers, surtout en soirée, car il incite à boire plus d’alcool. A long terme fumer du cannabis augmente le risque de parodontite et de cancer buccal liés au tabac.
Il est habituel de considérer que les anesthésies locales sont inefficaces chez le patient usager d’opiacés. Cette inefficacité de l’anesthésie locale peut constituer un prétexte pour interrompre le soin dentaire. En général, on propose donc, dans le cas d’extractions multiples, une intervention sous anesthésie générale.
L’héroïne déclenche des caries à progression rapide, ce qui provoque des « rages de dents » que le patient soulage par les fonctions antalgiques de l’héroïne et d’autres substances.
Que faire?
L’utilité du dépistage de la consommation de substances psychoactives en médecine de premier recours, couplé à une intervention brève, est largement reconnue. Le dépistage peut se faire lors d’un entretien clinique (focalisé sur la fréquence et la quantité d’usage, la perte de contrôle et les conséquences médico-psychosociales) ou à l’aide d’outils de dépistage. L’utilisation de questionnaires peut aider le chirurgien-dentiste.
La description de l’état bucco-dentaire et l’explication du lien entre les pathologies observées et la consommation des différentes drogues permet un abord médical du problème, objectif et exempt de tout jugement moral. Le praticien est ainsi naturellement conduit à orienter son patient vers le dispositif des consultations jeunes consommateurs ou des structures de soins spécialisés. Il souligne à cette occasion que les soins dentaires prodigués n’auront une pleine efficacité que s'ils sont suivis d'une abstinence, d'une réduction des consommations ou au moins de pratiques de prévention.