Risque hémorragique chez les patients alccoliques ou toxicomanes par voie intra-veineuse ayant contracte une hépatite virale
Anomalies de l’hémostase au cours des hépatites chroniques (cirrhose éthylique, infections chroniques par l’hépatite B ou C)
L’hémostase est le processus physiologique responsable de l’arrêt des saignements. Elle fait intervenir des cellules sanguines, essentiellement les plaquettes, et des protéines, les facteurs de coagulation.
Au cours des hépatites chroniques, notamment celles liées à l’infection par le virus de l’hépatite C (VHC), des anomalies de l’hémostase apparaissent. Le virus du sida, en l’absence de traitement, peut aussi provoquer une thrombopénie et une hypo-coagulation.
Ces anomalies touchent :
- Les plaquettes : diminution du nombre (= thrombopénies) ou anomalies des fonctions plaquettaires (= thrombopathies). Les thrombopénies ont plusieurs causes possibles : inhibition directe de la production médullaire (par le VHC, l’alcool, ou par carence en folates), séquestration splénique, diminution de la production hépatique de thrombopoïétine (facteur de croissance plaquettaire), effet du traitement par interféron. L’origine des thrombopathies est moins bien connue. Les anomalies peuvent se situer à différents niveaux : transduction du signal, synthèse de thromboxane A2, déficit en glycoprotéines membranaires, anomalies du contenu des granules.
- Les facteurs de la coagulation : leur synthèse est essentiellement hépatique, et toute insuffisance hépatique aboutit à un défaut de production (= déficit en facteurs de coagulation).. Il peut également y avoir des anomalies fonctionnelles, qui touchent le plus souvent le fibrinogène (= dysfibrinogénémies).
Ces anomalies de l’hémostase augmentent le risque de survenue d’accident hémorragique spontané ou au décours d’actes vulnérants, tels que blessures accidentelles ou interventions chirurgicales..
Ceci peut amener le praticien à modifier la prise en charge de son patient :
- soit pour la réalisation de gestes diagnostiques tels que : biopsie hépatique, petits actes de chirurgie y compris les interventions de chirurgie-dentaire
- soit lors du suivi de la thérapeutique, avec : interruption du traitement antiviral.
Prise en charge par le chirurgien-dentiste d’un patient alcoolique ou toxicomane, qui présente un risque hémorragique
A la première consultation, nous prescrirons un bilan d’hémostase de routine, avec taux de prothrombine (TP en %), temps de céphaline activées (TCA) et numération-formule sanguine avec les plaquettes. Nous adresserons le patient à un laboratoire de biologie médicale, où seront réalisées la prise de sang et les analyses. Nous différerons tout soin sanglant ou acte chirurgical, en attendant les résultats du bilan d’hémostase. Cette première consultation sera l’occasion d’envoyer en parallèle le patient consulter un médecin, pour amorcer la prise en charge de son addiction et faire le cas échéant des tests de dépistage du sida et des hépatites virales.
En pratique :
- Valeurs normales : TP compris entre 75% et 100%. Plaquettes entre 150.000/mm3 et 400.000/mm3. TCA compris entre 26 et 37 (pas d’unité, c’est un rapport par rapport à une valeur de référence). Risque hémorragique si le TCA est > 37.
- Plaquettes > 150 000/mm3 (ou > 150.109/L) ou TP > 70% : Plan de traitement et soins dentaires « normaux ». En cas de saignement prolongé, il faut réaliser compression et sutures. Ne pas oublier de prévenir les patients : les patients alcooliques ou toxicomanes sont souvent des fumeurs et s’ils fument après une extraction dentaire, ils risquent d’avoir une alvéolite.
- Plaquettes < 150 000/mm3 (150.109/L) ou TP < 70% : L’état général du patient passe avant le plan de traitement odontologique idéal. Il est prudent d’appeler le médecin traitant pour lui demander l’autorisation d’effectuer des actes de chirurgie-dentaire sous anesthésie loco-régionale, et sous quelles conditions : soit prémédication par le médecin pour corriger l’hémostase, soit transfusion pré-opératoire de plaquettes en clinique ou en milieu hospitalier. Cet appel téléphonique doit être matérialisé par un courrier adressé au médecin traitant. S’il faut une prémédication lourde, nous nous efforcerons de limiter les actes sanglants en regroupant toutes les extractions en une seule séance (sous anesthésie générale si besoin à partir de 5 dents à extraire). Il faudra souvent renoncer à réaliser des traitements de parodontologie, endodontie (saignement apical), prothèse fixée (saignements gingivaux) ou implantologie. S’il faut une transfusion de plaquettes préopératoire, le plan de traitement se limitera à réaliser toutes les extractions en une seule séance (sous anesthésie générale à partir de 5 dents), à réaliser des soins conservateurs sur dents vivantes ou déjà dévitalisées, et à poser des prothèses amovibles.
- Plaquettes < 60 000/mm3 (60.109/L) ou TP < 60% : Ces patients sont souvent adressés au chirurgien-dentiste en milieu hospitalier, dans le cadre d’un bilan pré-greffe hépatique, pour éradication des foyers infectieux dentaires. Tous les actes sanglants de chirurgie-dentaire sont contre-indiqués. L’objectif se limite alors à « pas d’infection, pas de douleur », avec uniquement des extractions en une seule séance, avec une transfusion de plaquettes pré-opératoire. Il faut appeler le médecin traitant pour programmer l’intervention, qui est parfois différée à cause du mauvais état général du malade.
Prévention du risque infectieux et du risque de dénutrition associés
Pour tous les patients qui présentent un risque hémorragique, les extractions sous anesthésie générale permettent de prémédiquer le patient ou transfuser des plaquettes en milieu hospitalier.
Cela permet aussi :
- de réduire la durée de l’intervention, et par conséquent le risque infectieux postopératoire,
- de réduire le risque de piqûre ou de blessure du chirurgien-dentiste pendant l’intervention, car le patient endormi ne bouge pas. Il est impératif de limiter tout risque d’accident d’exposition au sang lorsqu’un patient est infecté par le virus de l’hépatite B, de l’hépatite C ou du sida, d’autant plus que les co-infections sont fréquentes chez les toxicomanes injecteurs.
De plus, la cicatrisation risque d’être ralentie chez les patients alcooliques ou toxicomanes injecteurs, en raison d’un état d’immunodépression et de dénutrition, dans un contexte social défavorisé. La dénutrition sera encore aggravée par les extractions dentaires, pendant la période de cicatrisation des maxillaires, avant la pose de prothèses dentaires ou durant la période d’adaptation aux nouvelles prothèses. Pendant toute cette période, l’équipe soignante devra penser à donner des compléments nutritionnels hyperprotéinés et hyperénergétiques. Il est vivement conseillé d’adresser le patient à une consultation de diététique, non seulement pour la prise en charge du problème d’alcool, mais aussi parce que la nutrition est un soin à part entière. Il faudra particulièrement veiller à ce que le patient édenté ne soit pas lassé par une alimentation exclusivement molle et mixée.
Conclusion
Le risque hémorragique est fréquent chez les patients alcooliques ou toxicomanes injecteurs s’ils sont infectés par le virus de l’hépatite B, C ou du sida. En raison d’un contexte médical et social souvent précaire, il ne faut pas hésiter à proposer un plan de traitement simplifié, avec peu de séances :
- extractions multiples sous anesthésie générale, avec si nécessaire prémédication pour corriger l’hémostase ou transfusion de plaquettes pré-opératoires
- détartrage, soins conservateurs sur dents vivantes ou déjà dévitalisées
- pose de prothèses dentaires amovibles
- - suivi diététique et prescription de compléments nutritionnels pendant la période de réhabilitation bucco-dentaire
Références
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