Les comportements sociétaux en terme de toxicomanie ne cessent d’évoluer et ont des répercussions sur les pathologies bucco-dentaires. L’usage chronique de cannabis, cocaïne, héroïne ou drogues de synthèse, est un véritable problème de santé publique. De nombreuses manifestations dentaires et parodontales ont été décrites et doivent aujourd’hui être prises en compte dans le diagnostic, le traitement et la prise en charge des patients.
Nous devons prendre en compte ces facteurs de risque afin de mieux définir les facteurs environnementaux intervenant sur la santé bucco-dentaire
Les consommations de drogues illicites, d’alcool et de tabac sont le reflet d’une société, de ses rituels ou de ses maux.
Les mécanismes de l’addiction
L’addiction est aujourd’hui considérée par la quasi-totalité du milieu médical comme une maladie. Un rapport de l’OMS en 1997 montre que « la dépendance est un désordre chronique général avec des bases biologiques et génétiques, et n’est pas due à un simple manque de volonté ». Ce rapport arrive aux conclusions que « la dépendance est un dysfonctionnement cérébral comme n’importe quelle pathologie neurologique et psychiatrique », « l’addiction est une maladie pouvant être traitée ».
Il est donc nécessaire de soigner ce déséquilibre par une prise en charge médicalisée.
Quel est notre rôle dans la prise en charge pluridisciplinaire complexe du patient toxicomane ou dépendant ?
Nous intervenons dans cette prise en charge. Les nombreuses conséquences buccales liées principalement à une utilisation chronique de drogues licites ou illicites nous imposent de connaître les mécanismes de l’addiction, et surtout de passer d’un jugement moral à un traitement médical.
Jamais ou presque une personne dépendante n’a souhaité le devenir. Chaque consommateur souhaiterait s’arrêter ou en rester au stade de l’usage, éventuellement même de l’abus, mais sans jamais subir la dépendance. Connaître le plaisir, le répéter à volonté, mais sans avoir à en payer le prix par la dépendance.
Les dépendances
Nous sommes confrontés à plusieurs formes de dépendances :
- Drogues licites: tabac, alcool, médicaments…
- Drogues illicites: cocaïne, héroïne, cannabis…
- Comportementales: troubles addictifs alimentaires (anorexie, boulimie) cyberdépendance, hyperactivité sexuelle, sport extrême…
- Les petites dépendances: au café, au chocolat, au téléphone portable (accrophonie)
Facteurs de risque
Nous présentons des vulnérabilités inégales face aux addictions. Plusieurs facteurs de risques ont été définis :
- Périodes de stress (adolescence, perte d’emploi, rupture…)
- Facteur génétique : Plusieurs gènes de l’addiction, qui s’expriment au contact de co-facteurs. (exemple tabac et dopamine à la première bouffée)
- évitement face à la souffrance
- Besoin de récompense
- Hyperactivité psychique
Le circuit de la récompense.
Notre cerveau fonctionne sur un schéma de récompense. Toute bonne action, comme se nourrir ou se reproduire, est récompensée par une sécrétion de dopamine procurant du bien-être, associée à une mémoire du plaisir. Il est important de noter que la consommation de drogues, licites ou illicites aboutit à une sécrétion de dopamine, même si les récepteurs cellulaires sont différents (fig.1).
La notion de licite et d' illicite n’a pas de fondement scientifique, mais un fondement historique, politique ou économique.
Dopamine et récompense
L’hypothalamus est le cerveau des émotions, là où naissent nos réactions cérébrales les plus primaires ainsi que la plupart des besoins vitaux. C’est un lieu dénué de raison mais peuplé d’envies et de besoins. Il existe dans le cerveau un circuit dont le rôle est de récompenser ces fonctions vitales par une sensation agréable.
C’est donc dans l’hypothalamus que s’inscriront les émotions de plaisir, de joie, de tristesse, le soulagement ou l’excitation procurée par une drogue.
Au dessus de ce cerveau reptilien se situe le cortex, la tour de contrôle. C’est là où se localisent nos idéaux, notre morale, nos dogmes…
Il existe chez l’homme un conflit permanent entre ces deux régions cérébrales. La raison contre la satisfaction. Le télencéphale ne gouverne pas l’hypothalamus, il le tyrannise sans pouvoir le dompter. Un héroïnomane privilégiera sa tranquillité en consommant à outrance alors qu’il se sait en danger de mort. L’hypothalamus renferme la plupart des neurones à dopamine de notre cerveau.
Cela nous permet de comprendre la dépendance psychique, c’est-à-dire le besoin de consommer pour éprouver à répétition les effets de plaisir ou de tranquillité. Les sensations restent stockées dans l’hypothalamus. Au moindre stimulus elles ressurgissent.
Plasticité synaptique et addiction
L’administration chronique de drogues entraîne des changements structuraux neuronaux, à long terme au niveau du système de récompense. La plasticité est la notion majeure: quand on prend des drogues, on modifie nos fonctionnements cellulaires. La prise en charge médicale permet de rétablir ces déséquilibres cellulaires.
Le cerveau addict
Notre cerveau a un comportement influencé par le besoin de récompense (drive). C’est ce qui, depuis la nuit des temps, nous a permis d’échapper aux prédateurs, de se reproduire. Une mémoire de cette récompense est indispensable pour que la survie et la reproduction soient possibles. Un contrôle lié à la raison a fait que nous ne sommes plus des barbares (on ne peut pas se faire plaisir tout le temps).
Chez un consommateur chronique, les circuits de la raison ne fonctionnent plus. Le comportement ne fonctionne alors que sur le besoin de récompense. Le cerveau du contrôle est biochimiquement mis en incapacité d’agir. (fig.2) Il faut donc arrêter de faire appel à la volonté mais aider les gens à reconstruire médicalement ce rétrocontrôle.
Figure 2 schéma du cerveau non-addict et du cerveau addict : N. Volkow J. Clin. Invest 2003 ; 111 : 1444-1451